Phenomenal Woman

Une Femme, Un Modèle #23

« African women need to be encouraged to write, and to perceive that our ideas matter. It is up to us to end the tyranny of patriarchy, no one else will do it for us. It is up to us to challenge negative stereotypes about Africans, nobody else will do this for us. Blogging is one way to contribute to thought leadership by documenting our stories and ideas, in so doing slowly reinstating the stories that continue to be erased, censored and/or distorted. »

Ms Afropolitan 

(Source: Ms Afropolitan)

Quand j’ai décidé de créer ce blog en mai 2014, mon premier souhait était surtout de partager le parcours de femmes afro-descendantes francophones. En effet, je déplorais le manque de médias en français sur le sujet, ce qui donnait le sentiment d’être condamnée au silence, voire de ne pas exister au sein de la société.

Il est nécessaire de se réapproprier la parole et les espaces publics. En effet, trop souvent les expériences de femmes noires sont analysées et rendues visibles par des individus extérieurs à nos communautés (ex: universitaires, politiques). Ils projettent ainsi une vision de leurs vécus qui se veut « objective » mais est en réalité biaisée, erronée, voire même nuisible quand ces visions sont imprégnées de représentations racistes et sexistes.

Ce mois-ci, vous découvrirez le profil d’une femme afro-descendante qui a choisi de garder l’anonymat mais qui surtout tenait à partager ses expériences en tant que femme noire francophone vivant à l’étranger. Bonne lecture!

Présentation.

Mon nom est Jumoke Misirat. Je suis analyste crédit sur les institutions financières bancaires et non bancaires dans un groupe bancaire international à Londres.

Profession.

Mon métier couvre les marches interbancaires sur le « buy-side ». Comme j’ai appris mon métier en allemand et que je ne connais pas les termes en français, je me suis servie de la fiche de l’APEC pour cette interview :

« L’analyste de crédit bancaire est chargé d’étudier et de mettre en forme les demandes de crédit faites à sa banque et de déterminer les conditions commerciales les plus adaptées et conformes à la politique de crédit ».

Pourquoi avoir choisi ce métier ?

J’ai choisi ce métier un peu par hasard. Lorsque j’étais à la recherche d’un emploi avant ma sortie de l’ESCP Europe. Je voulais devenir analyste en equity à Paris suite à un stage de fin d’études dans le secteur des sciences de la vie. Puis, j’ai étendu mes recherches d’emploi à toute l’Europe.

Je suis tombée sur deux annonces en ligne pour un poste en analyste crédit sur le risque bancaire, souverain et pays pour l’Allemagne et la Suisse. Enfin, j’ai trouvé les descriptions des annonces intéressantes car elles me permettaient de maintenir mon niveau de culture générale.

Parle-nous d’une journée type.

Je n’ai pas vraiment de journée type. Mes priorités changent tous les jours en fonction de la journée et du développement des marchés des capitaux.

Quel est ton parcours universitaire ? Ecoles ? Concours ? Comment ça se passe ?

J’ai un diplôme niveau Master 1 LEA « Affaires et Commerce » avec de l’Allemand et du Japonais, un Master 2 Pro « Gestion et Marketing franco-allemands » et le MEB (Master of European Business) de l’ESCP Europe.

Je suis en train de finaliser un mémoire pour mon Master 1 en Histoire portant sur l’histoire économique et sociale du Nigeria à partir de la fin du XIXe siècle.

Tu as décidé de reprendre des études et choisi de soutenir un mémoire sur l’histoire économique du Sud du Nigéria ? Pourquoi ? Des envies de changer de carrière ?

J’ai décidé de reprendre mes études lorsque j’ai découvert qu’une vraie licence d’Etat en langues africaines existait. Je continue en histoire grâce au soutien d’enseignants-chercheurs nigérians vivant en Amérique du Nord, notamment Toyin Falola de l’Université du Texas à Austin, et au Nigeria comme le professeur Oyeshile de l’Université d’Ibadan, le doyen de l’Université d’Ogbomosho et des enseignants-chercheurs d’Europe Centrale Orientale.

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D’autres chercheurs tels que Jane Guyer et Karin Barber spécialisées sur le Nigéria veut suivre le résultat de mes recherches. Je les ai rencontrées pour la première fois en mai 2015 lors de mon intervention à la conférence Cadbury annuelle organisée par le département d’histoire africaine et d’anthropologie à l’Université de Birmingham.

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Quelles sont les difficultés rencontrées durant ton parcours ?

Au début de mes études, les difficultés que j’ai rencontrées étaient plutôt d’ordre financier et du désintérêt des profs pour la situation de leurs étudiants. J’ai aussi subi le racisme et de la stigmatisation de la part de certains profs de la fac par rapport à mon pays d’origine le Nigéria et au fait que certains m’ont découragé de poursuivre mes études.

Par ailleurs, depuis que j’ai repris mes études, la stigmatisation est plutôt venue de certains camarades de classe. Je n’ai pas connu le racisme ou la stigmatisation en provenance des enseignants de la maternelle au lycée. Je ne me suis jamais sentie exclue par le modèle de l’Ecole républicaine. Lorsque j’observais certains de mes camarades de classe, il y 2-3 ans, j’avais l’impression que les profs ne voulaient pas admettre que nous sommes tous des enfants de la République.

Le monde de l’entreprise n’aime pas les gens différents et fonctionne sur bases de clans. En effet, faire partie du mauvais clan peut influer sur la carrière d’un individu.

Autant à la fac comme sur le monde du travail, il n’y a pas de solidarités entre afro-descendants (ce que je déplore) comme c’est le cas au sein de la communauté indo-pakistanaise au Royaume-Uni. Beaucoup d’afro-descendants originaires de pays francophones et de spécialistes de l’Afrique divisent toujours les afro-descendants selon l’origine du « Colonial Master ».

Du reste, je ne comprends pas pourquoi les gens se définissent toujours selon le « Colonial Master » de leurs parents ou grands-parents, alors qu’ils n’ont pas vécu la période coloniale et sont fondamentalement français. Ce qui démontre ce que dit souvent Achille Mbembe à savoir qu’une partie de l’Afrique n’est toujours pas décolonisée. Mes frères et moi ne nous sommes jamais identifiés à la culture britannique. Du reste, les Nigérians ont tendance à regarder du côté des Etats-Unis.

La plupart de mes collègues afro-descendants ne sont pas nés au Royaume-Uni mais y ont fait leurs études universitaires.

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Quelles sont les avantages de cette profession ? Les inconvénients ? 

Les avantages de cette profession, c’est être en mesure de poursuivre une vie personnelle en dehors du travail lorsque les marchés sont calmes. Je n’ai jamais vraiment pensé aux inconvénients de ma profession.

Et pour la vie de famille ?

Je ne sais pas car je n’ai pas de famille. Plus on progresse en carrière, notamment au Royaume-Uni, et moins il y a de femmes. Il y a très peu d’infrastructure pour la garde d’enfants en bas âge et les écoles n’ont pas un système de garderie comme cela peut exister en France. Les femmes ne sont pas vraiment encouragées à rester sur le marché du travail comme cela peut être le cas dans les pays scandinaves ou en France.

Ta place de femme dans ce milieu ? Comment la vis-tu ? Les femmes sont-elles solidaires entre elles?

Les femmes ne sont pas solidaires entre elles et les femmes ne sont très rarement solidaires d’une femme noire. Un collègue métisse m’a dit il y a quelques années que je devais accepter les situations racistes car c’est ma condition de femme noire.

Une collègue irlandaise dont j’étais très proche estimait que ses maux quotidiens du fait d’un manque de reconnaissance de sa hiérarchie était très important car elle y avait droit et me conseilla un jour de taire le racisme et de l’accepter, ce qui provoqua la rupture de notre amitié.

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Quels sont les conseils que tu pourrais donner à une jeune fille qui aimerait faire la même chose que toi ?

  • Je recommande avant tout de ne jamais se laisser faire et de ne pas se poser de limites à soi-même, même si les conditions de départ ne sont pas bonnes. Une situation idéale n’existe pas.
  • Avoir de bonnes notes c’est bien pour les diplômes et pour avoir accès à la meilleure éducation c’est important mais ce n’est pas tout.
  • Faire des stages tôt permet de valoriser sa formation pendant les études pour savoir quelle voie emprunter. Certains établissements sont toujours en décalage avec le monde du travail car très peu de profs s’intéressent au devenir de leurs étudiants et sont pas forcément au fait des développements de formation complémentaire.
  • Ce qu’on apprend sur les bancs de la fac permet de briser la barrière d’entrée dans le monde de l‘entreprise et il faut savoir que toutes les professions évoluent dans le temps et il faut donc accepter d’évoluer en se former tout au long de sa carrière même sans le soutien de sa hiérarchie ou de son entreprise.
  • Je recommande enfin et surtout de ne pas fermer les yeux face à la discrimination dans la rue, au sein des institutions universitaires et au travail, de se montrer solidaire envers toute femme qui subit toute forme de discrimination et de racisme sur les bancs de la fac ou dans le monde du travail ou tout simplement dans la rue.

Quel était ton modèle quand tu étais plus jeune ? 

Je n’ai pas vraiment de modèle.

En as-tu souffert à un moment de ta vie ? 

Je pense que cette question est très anglo-saxonne et est mal posée. Le problème n’est pas d’avoir un modèle mais un mentor qui puisse nous guider tout au long de la carrière. On peut s’identifier à une personne pour ses performances et son succès dans sa carrière ou sa profession, peu importe la culture d’origine.

Le mentor peut changer au cours de la carrière professionnelle en fonction de son évolution personnelle. Toutefois, le copier/coller ne marche jamais. Dans le monde de l’entreprise, il y a très peu de noirs et encore moins de femmes noirs.

Une étude de Harvard Business Review a bien montré que le mérite aux seins des minorités en entreprise est toujours reconnu aux femmes blanches, aux hommes noirs puis aux femmes noires. Et lorsqu’il y a un problème grave, le groupe qui subit sont celles des femmes noires, puis les hommes noirs et enfin les femmes blanches.

Quel est ton produit beauté chouchou … ? Ton geste beauté de tous les jours ?

J’utilise beaucoup la gamme de produits des marques Mixa, Nivea, Palmers International et Le Petit Marseillais que j’inter-change et qui permettent de garder une peau hydratée car j’ai une peau très sèche.

Quels sont tes futurs projets ? 

Je peux seulement évoquer ma participation en tant qu’intervenante à la First International Conference of African Studies Association qui aura lieu à l’Université d’Ibadan, au Nigéria en octobre prochain : http://www.as-aa.org/index.php/2-uncategorised/32-asaa-conference-2015-concept-note

Quel lien entretiens-tu avec l’Afrique ? 

Je suis membre de plusieurs associations nigérianes à Londres et donc de facto de Kanuk qui a été créé par le Président Obasanjo pour faire revenir les Nigérians de la diaspora lors qu’il est revenu au pouvoir en tant que civil. Depuis l’an dernier, j’interviens au sein de conférences internationales pour apporter ma vue sur le Nigéria en particulier d’un point de vue d’histoire économique et financière, sur le développement et l’identité des ressortissants de la diaspora nigériane en Europe.

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Une grande pensée pour toutes celles et ceux dont la parole est la plus invisible dans l’espace public. Réfléchissons à notre position sociale et posons nous de bonnes questions. Un grand MERCI à toutes les femmes noires qui montrent leur travail, questionnent leurs identités et s’interrogent sur le travail intracommunautaire qui peut être accompli. Il est plus que nécessaire pour nous, femmes noires francophones, d’être solidaires et de nous créer des espaces sécurisés.

A très vite pour plus de BlackSisterHood!

kidji

"Always higher and further together!" N'ayons pas peur de rêver et de voir la vie en GRAND!
Kidjiworld est un blog qui vous fait rentrer dans mon univers.
Joyeuse et optimiste dans la vie, je tente de faire en sorte que cela transparaisse dans mes lignes que je vous livre ici.
A très vite!

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2 commentaires

  1. J’adore, non je suis fan !!
    J’ai l’impression de me reconnaître dans ses propos.
    Bon à quand les présentations ?
    C’est une « boss lady » (mon nouveau surnom venu de ma « protégée sud-africaine), comme je les aime et que je verrais bien participer à un de mes prochains colloques organisés sur le Leadership des femmes en Afrique et dans la Diaspora par mon association.
    Quel parcours…………………… !!

    1. Merci beaucoup Grande Soeur! 😉
      Je suis entrain de travailler sur un évènement qui nous rassemblera toutes!
      Stay tuned!
      Bisous <3

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