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Littérature: « L’Oeil le plus bleu » de Toni Morrison

Je viens tout juste de finir un roman qui m’a beaucoup plu et que je vous conseille vivement de lire. Il s’agit de « L’Oeil le plus bleu », premier roman de la grande écrivaine Afro-américaine, Toni Morrison (dont je vous parlais déjà ICI). Dès les premières pages, on est plongé dans le Lorain (Ohio) de son enfance et, plus particulièrement, dans les quartiers pauvres réservés aux Noirs, où les marguerites ne poussent pas… 

RESUME : 

Dans l’Amérique des années 40, à Lorain, Pecola Breedlove, une petite fille Noire âgée de onze ans, persuadée de sa laideur, prie pour avoir des yeux bleus. Elle pense que ce miracle pourrait changer sa famille, garder son frère Sammy à la maison, faire en sorte que sa mère l’aime, que ses camarades à l’école la trouvent jolie et que son père se refuse à lui faire du mal.

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Dès les premières pages, ce roman regorge de malheur et de violence, mais surtout, dénonce la société américaine ségrégationniste, une société qui décide de la supériorité des Blancs, qui détermine à quoi il faut ressembler pour avoir de la valeur, et enfin, ce roman montre ce qui pousse certains Noirs à la violence et à la folie, folie de ne pas être accepté tout simplement comme un Etre humain. 

LES PERSONNAGES PRINCIPAUX :

Claudia McTeer est la narratrice du roman. Elle vit avec sa soeur Frieda, est aimée par ses parents, contrairement à Pecola. Elle ne veut pas adopter les canons de beauté occidentaux. Elle méprise les poupées blondes qu’on lui offre et déteste Shirley Temple, enfant star de l’époque, mais n’hésite pas à prendre sous son aile la petite PecolaClaudia et Frieda ont la chance d’être soudées, et d’être nées dans une famille qui leur a donné de la force, même si la tendresse maternelle venait à manquer. Cela dit, elles appellent tout de même leur mère Maman. Si Claudia et sa soeur Frieda ont tout de même la chance d’être les filles d’un couple relativement uni bien que pauvre; si le plus grand danger qu’elles croisent, ce sont les attouchements de leur locataire, Mr Henry et si, bien entendu, elles comprennent rapidement que, dans le monde où elles sont nées, les Métis au teint clair sont beaucoup mieux appréciés que les enfants à la peau sombre, toutes deux possèdent malgré tout une certaine stabilité.

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Shirley Temple

Pecola Breedlove, l’héroïne du roman, est une petite fille Noire, qui appelle sa mère Mrs Breedlove et qui assiste continuellement aux engueulades de ses parents. Au lieu de se rebeller comme son frère Sammy et fuir la maison, elle s’isole dans un monde imaginaire et, persuadée de sa laideur, rêve d’avoir des yeux bleus comme son idole, Shirley Temple. Elle subit la violence des Blancs comme des Noirs, des enfants comme des adultes. Contrairement à la narratrice, Pecola est née dans la violence et est rejetée par tous pour sa soit-disant laideur. En plus du fait de se dévaloriser quotidiennement, Pecola ne bénéficie pas de l’amour de ses parents, entre sa mère qu’elle appelle Mrs Breedlove et son père qui n’hésitera pas devant l’inceste…

Pauline Breedlove, alias Mrs Breedlove, est la mère de Pecola. Elle ne montre pas beaucoup de tendresse pour sa fille et éprouve de la haine pour son mari constamment saoul. Pour nourrir et subvenir aux besoins de la famille, elle fait des ménages chez les gens et elle finit par trouver une bonne place chez des Blancs qui la paient correctement pourvu qu’elle s’occupe de leur fille unique qui a le droit de l’appeler Pauline et de leur maison comme si c’était la sienne. Du coup, la maison des Blancs, où elle est tranquille et où la laideur ne l’atteint plus, est devenue en quelque sorte son véritable foyer. Elle donne à la petite fille Blanche de ses maîtres (blonde aux yeux bleus) tout l’amour et la douceur maternelle qu’elle refuse à Pecola, qu’elle bat constamment sans jamais trouver d’excuses. D’où le grand rêve de Pecola: Que sa peau blanchisse et surtout que ses yeux deviennent bleus !

D’ailleurs, la mère de Pecola aime se coiffer comme Jean Harlow, une star de l’époque qui était Blanche et blonde, comme si, tout dans la société tendait à montrer ce à quoi il fallait ressembler:

« C’était un plaisir simple, mais elle a appris tout ce qu’il fallait aimer et tout ce qu’il fallait haïr » p.130
« Les blessures et les vexations sont quotidiennes et entraînent une violence qui doit rester contenue. Comment alors ne pas la déverser sur ses enfants ? Peut-on aimer et faire preuve de tendresse dans l’adversité quotidienne ? »
« Les insultes faisaient partie des ennuis de l’existence, comme les poux. » p.163

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Jean Harlow

Cholly Breedlove est le père de Pecola. Orphelin, livré à lui-même dès le plus jeune âge, il ne parvient pas à trouver sa place dans la famille. Il est alcoolique, désespéré et ne sait pas comment agir avec ses enfants, en particulier sa fille. Cela va le pousser à commettre l’irrémédiable: l’inceste.

CONCLUSION :

« L’Oeil le plus bleu » est un roman poignant et rapide à lire. Toni Morrison ne fait pourtant appel à aucun effet particulier. On devine qu’elle a jadis rencontré une ou plusieurs Pecola. Par-delà la traduction, l’écriture de Toni Morrison est très belle et poétique, ce qui rend le roman encore plus fort car les mots utilisés nous touchent et nous font percevoir toute la violence dépeinte. 

Autre chose, Toni Morrison ne juge jamais les personnages du roman, qu’ils soient Blancs, Métis ou Noirs. Elle les dépeint tels qu’elle se les rappelle et les laisse en face de leurs actes, indépendamment de leur couleur de peau et de leur éducation.

A travers son style d’écriture, on sent tout de même qu’elle a eu le cran d’établir un parallèle entre la suprématie que le Blanc fait peser sur les épaules du Noir et celle que l’Homme, Noir ou Blanc, fait peser sur celles de la Femme. En effet, le roman présente à la perfection un contexte où les hommes sont victimes d’insultes et de coups, les femmes sont en plus victimes des hommes:

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« Elles étaient entrées dans la vie par la porte de service. Convenables. Tout le monde était en position de leur donner des ordres. Les femmes blanches leur disaient : « Fais ça. » Les enfants blancs leur disaient : « Viens ici. » Les hommes noirs leur disaient : « Allonge-toi. » Les seuls dont elles n’avaient pas besoin de recevoir des insultes étaient les enfants noirs et les autres femmes noires. » p.147

Pour finir, la plus grande violence que j’ai ressentie à travers ce livre, c’est la négation de l’identité des Noirs: Comment se construire quand tout nous porte à croire que nous ne valons rien ? Comment vivre en rêvant d’être quelqu’un d’autre ?

Même si ce roman évoque la situation des Afro-américains dans les années 40, ces interrogations sont toujours des sujets d’actualité, là où les femmes Noires peuvent encore être dépeintes comme « les gardiennes d’une identité malmenée » (Le Monde)

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L’Oeil le plus bleu, Toni Morrison, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Guiloineau, 10-18, Christian Bourgeois Editeur. Prix conseillé: 8 euros.

Et vous? Avez-vous lu l’Oeil le plus bleu?

kidji

"Always higher and further together!" N'ayons pas peur de rêver et de voir la vie en GRAND!
Kidjiworld est un blog qui vous fait rentrer dans mon univers.
Joyeuse et optimiste dans la vie, je tente de faire en sorte que cela transparaisse dans mes lignes que je vous livre ici.
A très vite!

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3 commentaires

  1. J’ai adoré ce livre qui m’a marqué à jamais par les scènes très crus du viole de Pecola par son père. On a envie d’entrer dans cette cuisine et de la sauver de ce père incestueux,je recommande, je l’ai lu j’avais 14 ans Et aujourd’hui je m’en souviens encore

    1. Bonjour Edwige!
      Merci beaucoup pour votre message.
      En effet, dans ce roman, Toni Morrison est très crue dans la description de cette scène.
      On ressent à travers ses mots la violence de la scène comme si on y assistait sans pouvoir aider Pecola…
      Encore aujourd’hui, ce livre me touche énormément parce que dans la communauté noire, il existe encore beaucoup de tabous au sujet de l’inceste et des violences conjugales…
      A très bientôt.
      Ani

  2. Je l’ai lu à 14 ans et aujourd’hui j’en ai 40 et ce livre me bouleverse encore aujourd’hui

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