Hello! J’espère que vous allez bien?
Je viens de terminer la lecture de « Délivrances » (le titre original est « God Help The Child »).« Délivrances » est le dernier roman de Toni Morrison, décédée le 5 août 2019. L’auteure nous partage le portrait de Lulla Ann Bridewell, fille de mulâtres, mal aimée par sa propre mère parce que, d’après elle, sa fille serait « trop noire ».
L’HISTOIRE : Lulla Ann Bridewell est une femme Noire, à la peau très foncée. Un choc, à sa naissance, pour ses parents, des « mulâtres au teint blond ». Le père quitte le foyer rapidement et la petite fille est élevée par sa mère, partagée entre le dégoût et le devoir. Un jour, la petite fille témoigne contre une institutrice accusée d’agression sexuelle sur des enfants. Sa mère est fière et prend enfin sa fille par la main.
On retrouve la jeune femme quinze ans après. Elle se fait appeler Bride et ne porte que des vêtements blancs qui soulignent la beauté de sa peau noire. La jeune femme, séductrice et très sûre d’elle, occupe un poste à responsabilité dans une entreprise de cosmétiques « TOI, MA BELLE », qui marche bien. Elle a un fiancé, Booker, dont elle ne sait pas grand chose, mais qu’elle adore. Elle a pris sa revanche et a transformé en atout majeur la couleur de sa peau, qui a maudit son enfance. Mais un jour, l’institutrice qu’elle a contribué à faire condamner a purgé sa peine. Bride l’attend à sa sortie de prison pour lui faire une offre…
Cet événement, en plus du départ inexpliqué de son fiancé, tourne au cauchemar et marque le début de la décomposition d’une vie bancale construite sur le mensonge.
Bride voit littéralement son corps opérer une mue : ses seins disparaissent, son corps rétrécit jusqu’à refaire d’elle une petite fille. Bride prend la route pour aller chercher son fiancé. Au cours de ce voyage, elle rencontre un vieux couple de hippies et Rain, la petite fille qu’ils ont adoptée et qui trouve enfin dans la présence de Bride une oreille pour l’écouter. La jeune femme rencontre aussi Queen, la tante de Booker, personnage plein de bon sens et figure maternelle rassurante. Toutes ces rencontres, et ce voyage, qui s’accomplit aussi en elle-même, vont enfin affranchir Bride du passé et lui donner la possibilité d’une nouvelle vie.
MON AVIS : La puissance littéraire de Toni Morrison n’est plus à démontrer. Dans « Délivrances », Toni Morrison, prix Nobel de Littérature en 1993, reprend tous les thèmes qu’elle développe roman après roman depuis 40 ans : l’enfance, le racisme institutionnalisé aux Etats-Unis, la soumission, la violence, la famille, la haine de soi, la rédemption et l’amour.
Cette fois-ci, la romancière dessine tout cela dans l’Amérique contemporaine, à travers le destin d’une jeune femme Noire. Elle y décrit un racisme à l’intérieur même d’une famille, le colorisme, la soumission à des normes à l’intérieur même de la communauté noire, et les difficultés à se frayer un chemin vers soi-même dans un monde où sévissent le mal, la maladie, les enlèvements, les coups, le racisme, les insultes, les blessures, la haine de soi, ou encore l’abandon.
Dans ce roman, j’ai aimé cette quête de l’héroïne à la recherche d’elle-même, pour exorciser les démons du passé, pour en finir avec les mensonges et les non-dits et surtout pour prendre sa vie en main et devenir une femme en paix avec elle-même et avec la petite fille terrifiée au fond d’elle. J’ai aimé la voir évoluer mais j’avoue avoir plus de mal avec les autres personnages, sauf peut-être pour Booker, dont on comprend la haine et la peur de laisser s’envoler ce frère adulé et mis sur un piédestal pour enfin tourner la page et continuer à vivre, comme sa famille l’a fait avant lui. Beaucoup de personnages dans ce roman sont cabossés par la vie, happés par la violence des adultes à leur égard, à l’âge de l’innocence et de l’insouciance, qu’ils/elles n’ont malheureusement pas connues (Rain, Brooklyn et Bride) ou qu’ils/elles ont vues s’éteindre trop vite (Booker), faisant d’eux des adultes traumatisés et hantés par ce qu’ils/elles ont vécus.
« Délivrances » s’inscrit dans la lignée des précédents livres de Toni Morrison : courts et denses, comme avec « l’Oeil le plus bleu » que vous pourrez découvrir ci-dessous:
« Je travaille consciemment et énormément à cela : écrire moins et dire davantage. Ne pas écrire deux pages quand une phrase peut tout contenir. C’est bien plus difficile que de s’étaler. Et c’est ce que je veux désormais. C’est à la fois une envie et une nécessité. J’ai 81 ans, il faut que je fasse vite, donc que j’écrive court ! » Toni Morrison
La narration est partagée autour de Bride par les différents personnages : Sweetness, la mère, Brooklyn, l’amie de Bride, Sofia, l’institutrice, Booker, le fiancé, Rain, la petite fille que rencontre Bride lors de son périple pour retrouver son fiancé… « Délivrances » est avant tout un magnifique roman qui parle d’amour, vous savez, cet amour qui sauve des enfances massacrées, qui ouvre un chemin vers la possibilité d’être soi-même, et surtout qui redonne à l’homme et à la femme leur humanité.
Un roman que je vous recommande fortement car il s’inscrit dans toute l’oeuvre afro-américaine de Toni Morrison avec la beauté des contes africains et la description réaliste de la société américaine d’aujourd’hui!
Délivrances Toni Morrison, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière – (Christian Bourgois – 197 pages – 18 euros)
N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé en commentaire! A très bientôt…