Un roman léger n’est pas un roman futile et choisir d’embrasser le quotidien n’empêche pas de déployer une réflexion souterraine, sur des questions aussi profondes que la quête identitaire, le poids des traditions, les haines ancestrales entre subsahariens et caribéens.
Ici, la politique vient se nicher jusque dans les cheveux (crépus, défrisés ou locksés) des héroïnes tandis que l’encombrante icône de la femme poto-mitan porte son regard et son ombre sur leurs vies amoureuses.
Écrivaine franco-camerounaise, Léonora Miano s’est fait connaître en 2005 avec la parution de son premier roman intitulé : « L’intérieur de la nuit » .
Elle a obtenu plusieurs prix dont le Grand Prix Littéraire de l’Afrique noire pour l’ensemble de son œuvre en 2011.
Elle est reconnue pour traiter des enjeux sociaux touchant la diaspora africaine et plus particulièrement les diasporas qui résident en Europe et des problématiques liées à l’identité, l’altérité, le rapport à l’histoire etc…
C’est dans ce contexte que je me suis plongée pour la première fois dans la lecture d’une œuvre de Léonora Miano.
De plus, en réécoutant dernièrement les capsules littéraires du podcast « Tant que je serai Noire » de mes amies Tsippora et Aurore, j’ai eu envie de lire « Blues pour Elise »:
« Blues pour Élise » met en scène quatre femmes noires parisiennes « fortes, vibrantes et émouvantes » : Malaïka, Akasha, Amahoro et Shale. Elles se sont baptisées les « Bigger than life » afin de revendiquer leur pouvoir sur le destin.
Ces copines apparemment trentenaires, sont à la recherche de l’amour. Chacune à sa manière. Avec des blessures anciennes, des dérapages inattendus, la difficulté de la rencontre, les déceptions dont on ne se remet point, les trahisons et les surprises agréables. Elles ont la particularité d’avoir un lien avec l’Afrique subsaharienne, connexion assumée ou pas, quoi qu’il en soit, elles sont surtout françaises.
On découvre aussi Estelle, la grande sœur de Shale, avec qui cette dernière entretient une relation problématique et leur mère, Élise. Elles ont toutes en commun de mener une quête effrénée de l’amour et de l’épanouissement personnel dans un milieu social qui les intègre difficilement. Les personnages masculins, plutôt secondaires, poursuivent des quêtes similaires tout en négociant avec l’influence de leurs compagnes, qui les confrontent à leur vulnérabilité et à leurs doutes.
Le roman s’inscrit ainsi en filiation avec d’autres textes chers à l’auteure et présente une France noire, urbaine et culturellement diversifiée, tout en traitant d’enjeux plus féminins, le tout « avec la facilité d’accès d’une série TV ».
Léonora Miano commence par aborder des sujets très légers puis au fur et à mesure des chapitres, on découvre des zones plus sombres.
Le roman est coupé en deux comme une sorte de série TV où les épisodes qui s’enchaînent semblent ne pas avoir de lien avec les précédents, laissant apparaître de nouveaux personnages plus ou moins en lien avec les Bigger than Life.
Au fil des chapitres, les relations entre les personnages se révèlent et la bonne humeur se dissipe quand on aborde le chapitre du fameux « Blues pour Elise » où un terrible secret est révélé, mais je n’en dirai pas plus!
Blues pour Élise vient aussi aborder cette multi-appartenance : créolismes et anglicismes pimentent le texte, des phrases suaves et chantantes côtoient de réjouissantes conversations téléphoniques en pidgin :
« Allô Asso ! Oui c’est moi Bijou…C’est how ? Quoi ? Tu es ngué ? Pardon, excuse les gens.
Moi même je suis complètement foirée » etc.
Une langue orale, vigoureuse et salée qui est surtout à mille lieues de l’extrême sophistication littéraire des autres romans de l’auteure.
J’ai beaucoup apprécié le style de Léonora Miano dans ce roman, on sent une écriture enjaillée, légère et très accessible qui permet de découvrir la vie de femmes noires parisiennes qui s’assument et se boboïsent.
Néanmoins, cette écriture enthousiaste est mise de côté quand il est question d’aborder le fameux blues d’Elise où l’on voit qu’une maman se remémore le drame à l’origine de son départ précipité avec son mari du Cameroun vers la France.
« Blues pour Elise » de Léonora Miano, Plon, paru en octobre 2010