Je viens de terminer un récit intéressant qui se passe à New-York sur le passage à l’âge adulte de jeunes filles à la peau brune. L’auteure partage avec nous des vérités percutantes sur la réalité des femmes non-blanches en lien avec des questions raciales, tout en évoquant aussi son vécu.
En première partie du roman, dans un chapitre intitulé « Chaises musicales », nous apprenons que les enseignants d’une école située à New York, dans le quartier du Queens, ne font pas l’effort de distinguer les filles à la peau brune présentes dans la classe. En effet, ils font appel à Nadira mais fixent Anjali dans les yeux, ils demandent à Michaela de répondre à une question et tendent le feutre à Naz.
« Nous nous levons à l’appel de nos noms et nos professeurs s’arrêtent, confus. Nadira est pakistanaise, Anjali est guyanaise, Michaela est haïtienne et la famille de Naz est ivoirienne. »
Les élèves se moquent de leurs professeurs, mais pensent au fond d’eux-mêmes : « Non, son corps n’est pas le mien, ce n’est pas le mien, ce n’est pas le mien. Et pourtant. »
Dans le premier roman touchant et endiablé de Daphne Palasi Andreades, les impulsions visant à simplifier les identités ou à s’appuyer sur des stéréotypes sont rejetées, puis réduites en poussière!
L’auteure nous raconte l’histoire d’une groupe de copines qui grandissent dans le même quartier. On assiste à leur passage à l’âge adulte.
Ce récit est comme une véritable lettre d’amour à toute une communauté et à une ville, car « Brown Girls » (titre original du livre traduit en français) se déroule dans « les bas-fonds du Queens » et se décompose en huit parties composées de vignettes et de phrases très courtes.
Le récit se déroule de manière assez linéaire, de l’enfance à l’âge adulte et même dans l’au-delà, tout en surfant sur les vagues des succès et des échecs, des espoirs et des tragédies, et pourrait être l’histoire de la vie de n’importe qui.
Cependant, ce sont les micro-agressions particulières auxquelles ces filles à la peau brune sont confrontées et les liens collectifs qu’elles tissent en conséquence qui les distinguent des autres (celles des filles à la peau claire, bien évidemment).
A 10 ans, les « Brown girls » savent déjà être « bonnes » et traversent le « boulevard de la mort » pour se rendre à l’école.
A 15 ans, elles apprennent à « mémoriser les lignes de métro comme s’il s’agissait des veines qui parcourent leur corps ». Bref, elles apprennent à survivre et remarquent que les yeux des garçons à la peau brune commencent à parcourir leur corps de plus près.
À 16 ou 17 ans, à l’occasion des dîners avec les familles de leurs petits amis à la peau blanche, elles se transforment en « chose charmante » et deviennent soudainement « des ambassadrices des pays du tiers-monde ».
Ensuite, les plus ambitieuses se dirigent vers des grandes universités, celles de la « Ivy League » où « nous ne ressemblons à personne et personne ne nous ressemble! » et les autres ont des petits emplois, voire pas d’emploi du tout.
Dans les centres commerciaux, on les suit à la trace et souvent on les accuse de voler. Dans les fêtes où les Blancs/Blanches sont majoritaires, on suppose qu’elles sont de simples assistantes.
Plus tard dans leur vie, elles font des voyages touristiques vers « la mère patrie », vers des pays d’Asie du Sud-Est ou d’Afrique Noire. Après quoi, elles reviennent toujours l’une vers l’autre chez elle, dans leurs maisons « cachées et en périphérie » du Queens, où leur amitié et leur féminisme ont vu le jour.
Raconté principalement du point de vue du pronom pluriel « nous », pour mettre en avant le narratif collectif et le ressenti de beaucoup de femmes à la peau brune qui ont grandi en Occident, « Brown Girls » se lit comme une chanson rythmée.
« Lève-toi », dit le texte. A toutes les jeunes filles dévouées qui écoutent religieusement les commandements de leur mère et qui savent qu’il ne faut jamais répondre ou se rebeller. Tâchons d’être des « personnes bien intégrées » qui ont appris à garder la tête baissée.
« Brown Girls » nous invite à nous lever et à remettre en question nos histoires, notre héritage culturel, le colonialisme, le programme scolaire, le sexisme et le racisme ordinaire. Prenons place dans ce monde et montrons qui nous sommes vraiment au lieu de nous enfermer dans des schémas qui nous rendent malheureuses, à cause du « quand dira-t-on ».
Dès le début du roman, on nous dit, pour celles et ceux qui veulent vraiment savoir, ces filles à la peau brune sont de la couleur de la bière brune, de la couleur du sable fin ou encore, de la couleur du beurre de cacahuète. Des nuances de brun en somme!
À la fin, peu importe qui elles sont, peu importe où elles se trouvent, elles savent qu’il n’existe pas d’endroit où elles se sentent vraiment chez elles (que ce soit dans le Queens ou dans leur pays d’origine), car « exister dans ces corps signifie porter de nombreux mondes en nous ».
« Brown Girls » est un récit qui renferme plusieurs mondes et plusieurs histoires à travers ses pages. Un récit à découvrir sans hésiter!