« Nini n’est pas, comme d’aucun le pensent, un acte d’accusation qu’expliquerait une déception amoureuse de l’auteur.
Nini est l’éternel portrait moral de la mulâtresse, qu’elle soit du Sénégal, des Antilles ou des deux Amériques.
C’est le portrait de l’être physiquement et moralement hybride qui, dans l’inconscience de ses réactions les plus spontanées, cherche toujours à s’élever au-dessus de la condition qui lui est faite, c’est à dire au-dessus d’une humanité qu’il considère comme inférieure mais à laquelle un destin le lie inexorablement. »
Abdoulaye Sadji
RESUME : L’histoire du roman se passe pendant l’époque coloniale à Saint-Louis, l’ancienne capitale du Sénégal. Il s’agit d’une partie de la vie d’une jeune mulâtresse nommée Virginie Maerle, âgée de 22 ans et connue sous le diminutif « Nini ». Elle vit avec les seuls parents qui lui restent, sa tante Hortense et sa grand-mère Hélène, deux mulâtresses elles aussi.
Nini commence à sortir avec un collègue de bureau, le français Jean Martineau. Leur relation devient de plus en plus intime, mais le rêve plusieurs fois répété de la jeune fille d’épouser un Blanc et partir avec lui en France va encore s’envoler. Martineau et son ami Perrin seront licenciés par la compagnie les « Entreprises Fluviales » et ils vont devoir rentrer en Europe.
Une fois rentré, Martineau épouse une compatriote et retourne en Afrique Equatoriale Française avec elle. La grand-mère de Nini étant morte, pour fuir les mauvaises langues et les chahuts de ses amies, Nini part pour la France après avoir vendu l’immeuble qu’elle avait hérité de ses parents et qui lui fournissait un modeste revenu.
A PROPOS DE L’AUTEUR : Abdoulaye Sadji est né à Rufisque au Sénégal en 1910. Il est décédé en 1961 à Dakar. Pontin, instituteur et écrivain, il a été l’un des pères de la « négritude » et de la réhabilitation des cultures africaines en AOF. Il a publié de nombreux articles dans Paris-Dakar, L’AOF, Réveil, Condition humaine, Réalités africaines... Il a également été membre du comité de rédaction de la revue « Présence africaine ».
ANALYSE : « Nini la mulâtresse » de Saint Louis raconte l’histoire d’une jeune dactylo dans l’administration coloniale qui a, d’après elle, comme principal atout, son teint clair et ses yeux bleus. Elle aime en jouer et se faire passer pour une Blanche. Nini est souvent triste parce qu’elle est hantée par le sang noir qu’elle a dans ses veines et qu’elle veut ignorer, mais affiche le plus souvent une mine joviale et gaie.
Son unique souci : séduire un Français de France et se faire épouser. Il semble que l’auteur n’ait aucune sympathie pour son personnage principal, voire aucune tendresse. Il pousse jusqu’à la caricature le portrait de Nini, qu’il fait passer pour une séductrice très superficielle voire écervelée.
On ne peut pas dire que ce vive parti pris de l’auteur rende Nini sympathique. Bien au contraire. Ce point de vue s’inscrit pleinement dans l’ordre raciste qui régnait au temps de la colonisation.
En effet, Nini semble encore plus raciste que les colons, elle renchérit toujours sur les critiques des Africains. On sent qu’elle méprise complètement toutes les personnes qui ont le teint plus foncé qu’elle. Elle feint d’ignorer le wolof et les traditions africaines et étale une culture française qu’elle n’a que très superficiellement acquise.
L’auteur détaille la société de Saint Louis en catégories hiérarchisées en fonction de la couleur de peau :
- Français de France;
- Mulâtres de 1ère, 2ème, 3ème catégorie;
- et enfin les Noirs.
Au début, j’ai eu du mal à identifier l’époque précise où se déroule le roman. La grand-mère, la « Signare » et la présence d’esclaves dans la maison me laissait supposer un passé lointain. Un détail dans une conversation m’a détrompée : Il est question de la guerre de Corée. l’histoire se déroule donc dans les années 1950.
« (…) mais grandes sont les difficultés que rencontreront les « Ravannes » pour envoûter Martineau.
Car les Blancs résistent fort bien à l’action des forces occultes des Génies tutélaires de l’Afrique…. »
Ensuite, dans la deuxième partie du roman, les puissances tutélaires africaines font leur apparition. La grand-mère et la tantes, les « Signares » vont à la messe chaque jour pour attacher Nini à son amant français et elles ont recours à un marabout. Dans leur vieillesse, les « Signares » se souviennent de leurs origines, mais Nini va les renier.
« On ne peut rien affirmer après une prière, serait-elle la plus fervente.
D’autre part, la rancune des esprits de votre famille noire remonte à bien trop loin pour qu’une clémence qui leur serait demandée fût obtenue immédiatement. »
Le thème de l’amour est le ressort du roman. Chez Nini, l’amour ne signifie rien. Comme on peut le voir quand elle s’interroge sur l’amour prescrit par la religion : « Aimez-vous les uns les autres ». Dans le roman, l’auteur dit d’elle que : « L’amour, pour elle, reste un simple sport ».
Ce qui fait que le seul vrai amour dans l’histoire est peut-être que celui Ndiaye Matar éprouve pour Nini. Ce coup de foudre dont il est victime lorsqu’il a vu pour la première fois Nini au bureau où elle travaille. Cependant, cet amour est quelque peu faussé parle le désir de l’Homme Noir de venger la mulâtresse de ces aventuriers blancs.
CONCLUSION : Nini est un roman très critique. Abdoulaye Sadji y multiplie les pics avec des attaques à la grande famille mulâtresse, mais aussi au système colonial dont les enfants, biologiques et psychologiques, sont ici vivement blâmés.
La qualité du récit réside dans l’illusion dans laquelle vivent les personnages et la purge dont l’éventuel lecteur pourrait bénéficier. Pour réussir ce coup de force, le romancier use de beaucoup de moyens que lui offre la langue française, mais aussi la culture sénégalaise.
Même si on a pu dire que l’auteur a écrit ce roman en réaction à une déception causée par une mulâtresse, il n’en demeure pas moins que c’est la réalité d’une époque qui se lit dans ce roman.
Son humour et son ironie permettent de le classer parmi les grands écrivains africains de la littérature coloniale.
Et vous? Est-ce que vous avez lu Nini la mûlatresse? A très bientôt…