J’aime beaucoup les histoires qui parlent du passage à l’âge adulte. « SULA » est un voyage de l’enfance vers la découverte de la féminité.
Dans cet ouvrage, Toni Morrison aborde de nombreux thèmes comme la maternité, la sexualité, la féminité, les questions raciales, l’estime de soi, le deuil et bien d’autres choses encore.
L’HISTOIRE : « SULA » est un sublime ouvrage sur la relation entre deux amies d’enfance : Sula Peace et Nel Wright.
Une amitié qui est à l’origine des questions centrales de cet ouvrage, notamment le bien et le mal.
Cependant, derrière cette histoire d’amitié, Toni Morrison fait une brillante critique de la victimisation que s’imposent les soi-disant « bonnes personnes » pour justifier leur comportement et leur mépris vis-à-vis des personnes qu’elles considèrent comme étant en bas de l’échelle.
Sula et Nel entretiennent, selon moi, une relation toxique. La différence de leurs origines sociales génère le thème de la supériorité abordé dès le début dans ce roman. Leur amitié naît de la rébellion face à la société, de la solitude et d’un désir de compagnie.
Elles tirent parti de leurs forces respectives tout en créant un espace où elles partagent tout ensemble et cachent leurs secrets aux autres.
Plus tard, lorsque Sula a une liaison avec Jude, le mari de Nel, cette dernière est dans le déni complet face à cette situation. Elle se met à détester son mari, elle a peur à cause du « quand dira-t-on » et elle s’obstine à voir Sula comme son amie de toujours.
Comme Sula a trahi son amie d’enfance, Nel ne peut plus se confier à la seule personne en qui elle avait confiance. Alors que Nel a grandi dans une famille stable où règle la perfection, Sula vient d’un foyer chaotique peuplé de nombreuses personnes.
En grandissant, Sula n’a jamais laissé la société définir sa propre image et, bien qu’elle ait une personnalité audacieuse, elle n’est pas certaine d’aimer ou d’éprouver de l’affection pour qui que ce soit.
Hélène, la mère de Nel, est centrée sur les apparences, qu’elles soient visuelles ou sociétales. Elle passe sa vie d’adulte à s’éloigner de ses racines afro-américaines en raison de son teint clair qui, d’après elle, l’assimile à un statut social élevé.
Lorsque Hélène et sa fille Nel rendent visite à Rochelle, la mère d’Hélène, celle-ci est surprise de constater que sa fille n’a jamais pris la peine d’enseigner le créole à sa petite-fille Nel.
Hélène considère cette langue comme honteuse et inconvenante. Elle répond à sa mère « Je ne parle pas créole. » Elle regarde les fesses humides de sa fille. « Et toi non plus ».
Dans ces conditions, la grande importance accordée aux apparences alimente le sentiment d’inadéquation et d’insécurité que Nel éprouve depuis toujours.
Elle n’a pas confiance en elle, elle n’est pas sûre de ses racines, surtout après avoir grandi avec une mère qui a tenté de les effacer pendant des années.
En observant la relation de ses parents, elle espère connaître l’amour en attendant un homme qui viendra la sauver. Elle place donc toute son énergie et toutes ses valeurs dans sa relation avec Jude.
Quand celui-ci la quitte pour Sula, Nel est perdue et en état de choc. Son monde s’effondre et elle remet toute sa vie en question. Jude était le point central de sa vie, tandis que pour Sula, il ne représentait qu’un passe-temps, un divertissement, une autre chose partagée entre Nel et elle. Rien de plus!
Lorsque les deux femmes atteignent l’âge adulte, Nel suit la voie du traditionalisme pour les femmes Afro-Américaines des années 1920 : On se marie, on s’installe et on a des enfants.
C’est dans ces conditions qu’elle choisit d’épouser Jude, un homme relativement immature, qui l’épouse pour se sentir mieux dans sa peau.
Il ressent un profond mal-être en parti à cause du racisme qu’il subit dans la ville de Medallion.
De son côté, Sula choisit d’aller à l’université et de voyager à travers le pays.
Lorsqu’elle revient en ville, sa réputation est déjà entourée de mystère et de négativité. Son parcours fait fi du traditionalisme au fur et à mesure qu’elle évolue, elle se soucie moins des normes et des attentes de la société.
Pour une femme Afro-américaine portant le nom de « Peace », la petite ville de Medallion la voit comme l’incarnation du mal.
Tout au long du roman, les actions de Sula amènent les habitants de cette ville à justifier leur haine envers une femme en qui ils n’ont jamais donné de chance.
MON AVIS : Publié en 1973, Sula raconte l’amitié entre deux femmes Noires et la façon dont elles choisissent de naviguer au-delà de leur genre et des règles strictes imposées par la société américaine.
Toni Morrison nous livre dans ce court roman, deux très beaux portraits de femmes, différentes en apparence mais au fond si semblables.
L’amitié entre les deux fillettes, est au cœur de l’histoire mais reste difficile à cerner : Elles ont besoin l’une de l’autre et se complètent.
La vie va les séparer puisque Nel va se conformer aux désirs de sa mère et de la communauté noire, c’est-à-dire se marier et se consacrer à ses enfants, alors que Sula à l’inverse deviendra une paria car elle veut vivre dans la liberté et l’absence de conformité, et ne suivre que ses propres désirs sans aucune entrave.
Quelle différence existe-t-il in fine entre la douce et soumise Nel et la violente et libre Sula ? Où se situe la limite entre le bien et le mal ?
Voilà des questions que Toni Morrison soulève dans ce roman.
J’ai apprécié la façon dont Toni Morrison a utilisé l’amitié féminine pour explorer les valeurs sociétales et la hiérarchie morale. Lorsque Sula a une liaison avec Jude, Nel s’en sert pour se victimiser.
Après cette liaison, Nel définit toute son existence en fonction de l’abandon de son mari et de la trahison de son amie d’enfance.
Même si l’abandon de Jude aurait dû être aussi honteux et difficile que la trahison de Sula, Nel se concentre sur cette dernière pour diabiliser Sula et elle ne la voit plus que comme une personne sale dépourvue de toute humanité.
Malgré le titre du roman, Sula n’est pas le personnage principal du roman. Le personnage principal, c’est bien cette petite communauté Noire qui vit sur les hauteurs du village de Medallion, ces hauteurs que l’on appelle le « Fond ».
Elle a une vie propre, des croyances qui régissent les relations entre les habitants. Les rumeurs y vont bon train et poussent les individus à interpréter de manière erronée les signes extérieurs, comme par exemple, l’arrivée des rouges-gorges, juste avant le retour de Sula.
Sula est le lien entre les différents personnages. Sa personnalité est suffisamment scandaleuse pour qu’elle oblige les membres de la petite communauté Noire à se poser des questions et à changer leurs habitudes.
Elle devient le bouc émissaire de toute cette communauté parce qu’elle est identifiée comme le mal, ce qui entraîne une cohésion du groupe qui se ligue alors contre elle.
Lorsque Sula est sur son lit de mort, Nel lui rend visite et passe la majeure partie de la visite à réprimander son ancienne amie pour ses actions passées, tout en cherchant à valider les années pendant lesquelles elle s’est sentie méprisée.
Finalement, elle demande « Pourquoi ça n’a plus d’importance ? », se demandant pourquoi sa bonté envers Sula n’a pas suffi à empêcher cette dernière de coucher avec Jude.
Sula réplique en s’interrogeant sur la signification de la pureté et de la bonté, et en se demandant qui des deux est bonne.
Sula ne cède jamais à l’apitoiement de Nel et lui reproche de ramener les actes de Sula à sa propre personne.
En conséquence, elles ne feront jamais la paix de leur vivant et il faudra des années à Nel pour réaliser que même si Sula a commis un acte impardonnable à ses yeux, elle était le seul lien réel qu’elle avait dans la vie.
Tout au long de son immense carrière, Toni Morrison n’a cessé de déconstruire les cadres racialisés et sexualisés qui l’entouraient.
Je partage avec vous la chanson « SULA » de Jamila Woods, chanteuse afro-américaine de Chicago qui confiait sa volonté de penser son art comme une arme politique dans une Amérique de plus en plus sectaire.
« Elle m’a rappelé d’embrasser ma tendresse, mes sensibilités et mes façons d’être dans mon corps.
Cette chanson est un mantra pour me permettre de vivre ma sexualité, mes histoires d’amour et mon intimité selon mes propres termes. »
Jamila Woods