Je viens tout juste de terminer un roman que j’ai beaucoup apprécié, et je comptais partager mon point de vue avec vous…
PRESENTATION: Ce récit est l’autoportrait de Maya Angelou, militante afro-américaine pour l’égalité des droits civiques aux Etats-Unis et des libertés des Noirs sur le continent africain. L’auteure a intégré, jusque dans les plus profonds replis de sa vie intime, une véritable révolution mondiale, culturelle et politique. A travers ce récit, Maya Angelou semble affirmer la ferme conviction que son combat se terminera dès lors que l’évidente injustice attachée à la peau noire appartiendra au passé…Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui…
RESUME: Après Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage (éditions Les Allusifs, 2008), Tant que je serai noire poursuit le récit de la vie de Maya Angelou à partir de 1957 lorsque, décidée à devenir écrivaine, elle quitte la Californie et part avec son fils, Guy, pour rejoindre New York, où très vite, elle devient une figure notoire du Harlem littéraire.
Elle participe aux bouleversements de l’époque et rencontre des artistes comme la célèbre chanteuse Billie Holiday ( qui paraît amère et presque insupportable, s’emportant après avoir chanté à Guy les « Strange fruits » que sont les corps pendus d’hommes lynchés), l’écrivain James Baldwin, les leaders du mouvement des droits civiques, le chef du mouvement Nation of Islam Malcolm X, le pasteur Martin Luther King, et le leader sud-africain Oliver Tambo. Puis, Maya Angelou raconte les débuts de son expérience africaine, lorsqu’elle décide de suivre par amour Vusumzi Make, combattant pour la liberté et les droits des Noirs d’Afrique du Sud.
Après une longue étape en Egypte, où elle devient journaliste, à l’époque où les mouvements anticolonialistes y convergeaient, elle décide de partir vivre au Ghana avec son fils Guy devenu adolescent.
POINTS CLES: Tout au long de ce récit, cette militante pour les droits civiques des Noirs est aussi une mère très complice avec son fils et une femme qui connaît de nombreux bouleversements dans sa vie amoureuse. Cependant, ce qui me semble encore plus important à retenir, ce sont les interrogations que le roman suscite aujourd’hui.
- PREMIERE PARTIE: Révélations des tensions raciales en Amérique. Lorsque le récit commence, Maya Angelou est une jeune chanteuse de jazz, mère d’un fils qu’elle a eu à 17 ans et c’est avec beaucoup d’appréhension et de crainte qu’elle rejoint sa mère dans un hôtel dans lequel les Noirs viennent tout juste d’avoir le droit de louer une chambre. Le regard des Blancs lui paraît trop insistant, la met mal à l’aise et lui donne surtout envie de fuir. La suite retrace le parcours d’une femme qui peu à peu s’affirme, prend confiance en elle, puis décide de s’engager auprès de Matin Luther King et épouse la cause de Vusumzi Make, combattant pour la liberté et les droits des Noirs en Afrique du Sud. Dans cette partie du roman, ce qui m’a le plus marqué, c’est la méfiance de l’auteure à l’égard des Blancs, y compris ceux qui soutiennent la cause Noire en venant, par exemple, à plusieurs reprises voir une pièce de théâtre qui met avant les discriminations raciales et le mépris des Blancs vis-à-vis des Noirs. L’auteure manifeste le sentiment que même s’ils soutiennent la cause Noire en apparence, les Blancs ne peuvent pas envisager la vie de la même façon que les Noirs, tellement l’empreinte des préjugés est omniprésente.
- DEUXIEME PARTIE: La douloureuse confrontation de l’auteure afro-américaine à ses racines africaines. Après avoir épousé Vus, Maya prend conscience qu’elle n’aura plus la même liberté qu’auparavant, en échange de la sécurité et de l’amour que lui offrent celui-ci. Une fois mariée, on sent l’auteure comme prisonnière de sa situation, elle ferme les yeux sur de nombreuses choses, comme le rouge à lèvres sur les chemises de son mari, l’odeur d’un parfum qui n’est pas le sien, les nombreux et longs voyages de Vus à l’étranger et ses absences, qu’elle fait semblant de combler en acceptant ses cadeaux venus d’ailleurs et le fait de ne plus se préoccuper des factures…Jusqu’au jour où un avis d’expulsion est collé sur la porte d’entrée de l’appartement et qu’ils sont contraints de partir tous les 3… Après cette épisode marquant, elle quitte New-York pour l’Egypte, en passant par l’Europe. Cependant, une fois arrivée en Egypte, l’épouse de Vus n’a plus du tout la même liberté que la femme qu’elle était aux Etats-Unis, elle ne peut même plus travailler! Du coup, Maya ne tarde pas à se sentir à l’étroit aux côtés de cet homme dont le charisme l’avait jadis fascinée. Après avoir découvert que les jolis meubles étaient, en réalité, achetés à crédit, que leur cuisinière n’avait pas reçu son salaire et que les retards de loyers s’accumulaient, elle se dit qu’il n’est juste plus possible de rester à la maison sans rien faire, et grâce aux relations qu’elle avait tissées, elle parvient à devenir reporter pour un journal, où sa mission consistait à éplucher toutes les actualités africaines. Ce qui m’a le plus marqué dans cette partie du roman, c’est quand elle envisage de quitter cet homme qu’elle n’aime plus, son époux infidèle qui s’oppose à ses velléités d’émancipation au nom de la dignité du mari africain. Tout d’abord, elle a du expliquer ce choix de quitter son mari, c’est alors que le découragement s’abat sur elle face à ce simulacre de procès, qui plaçait Vus à la barre des accusés d’infidélité. Lui revient en mémoire ce constat : Tout ce qu’on attend d’elle, c’est qu’elle reste noire et qu’elle meurt (voilà sans doute l’origine, finalement lugubre, du titre original du roman The Heart of A Woman). A la fin, la palabre lui donne raison et lui permet de s’éloigner en lui épargnant le sentiment d’injustice et d’humiliation, la réconciliant avec sa dignité de femme. La voilà partie pour le Ghana avec son fils et surtout avec l’esprit libre. OUF!
REFLEXIONS: « Patrice Lumumba, Kwamé N’Krumah et Sékou Touré formaient le triumvirat africain sacré, celui auquel les Noirs américains vouaient un culte ».
Telle est l’une des affirmations fondamentales de ce roman qui mérite aussi réflexion. Aujourd’hui, quels sont les leaders des Noirs ? Quels sont les guides des Noirs qui, éparpillés dans le monde, rêvent d’un avenir meilleur là où ils se trouvent ?
Peut-être que leur rêve n’est plus associé à la couleur de leur peau parce qu’ils sont persuadés d’être transparents, que leur couleur n’a aucune incidence ni sur les décisions des autres ni sur leurs propres choix. Si telle est leur conviction, des exemples précis tirés de l’actualité récente montrent qu’ils se trompent.
ACTUALITES: Cette semaine, en France, suite à de nombreuses insultes, actes d’incivilité et de propos racistes, une créatrice guadeloupéenne a décidé de fermer sa boutique de prêt-à-porter à Quimper, pour affirme t-elle retrouver « sa sérénité et sa créativité ».
En juillet 2015, Sandra Bland, une activiste afro-américaine de 28 ans, au franc-parler qui critiquait les brutalités de la police et défendait les droits civiques est décédée. Elle a souvent posté des vidéos dans lesquelles elle parlait des questions importantes concernant les droits civils, et une fois elle a déclaré : « …Je suis ici pour changer l’histoire. Si nous voulons un changement, nous pouvons vraiment y arriver ». Le 9 Juillet, Sandra Bland se rendait à Naperville au Texas, dans l’Illinois, pour prendre un nouvel emploi comme agent de sensibilisation de collège, elle a alors été arrêtée par la police pour avoir omis de signaler un changement de voie. Ce qui a suivi est devenu trop fréquent et illustre la montée croissante du terrorisme policier intérieur aux États-Unis. Elle a été sortie de la voiture par la police pour avoir eu prétendument une attitude combative, et a été clouée au sol par deux agents. Une vidéo obtenue par la chaîne ABC 7 de l’arrestation de Bland « ne semble pas montrer Bland comme étant combattive avec les agents, mais montre deux officiers sur le dos de Bland… »
Encore aujourd’hui, aux Etats-Unis, de jeunes femmes noires racontent les douleurs qu’elle ont ressenties quand, à l’aéroport, un agent a fouillé dans leurs tresses. Après avoir raconté leur histoire sur les réseaux sociaux, elle se rendent compte qu’elles sont plusieurs dans ce cas. La justification des autorités? « Les cheveux crépus et tressés sont considérés comme des ANORMALITES ».
Retenons donc que la vigilance et la réaction franche et massive sont encore nécessaires malgré l’apparente fraternité universelle et qu’il serait encore bon de faire nôtres les précieux conseils que propose ce roman pour mener des actions militantes.
CONCLUSION: En les lisant et en les méditant, les Africains et les Afrodescendants de France et d’ailleurs se montreront les dignes successeurs de leurs aîné.es qui agissaient pour « faire savoir au monde qu’on ne peut plus tuer des Noirs dans le secret ». Si on les tue, si on les embastille ou les condamne injustement sans que nous réagissions, nous sommes co-responsables du mal qui leur est fait.
Si vous êtes une grande admiratrice ou un grand admirateur des figures illustres de la cause noire mais avez tendance à montrer de l’indifférence à l’égard des leaders actuels qui poursuivent leurs combats, alors ce roman est là pour remuer votre conscience.
Tant que je serai noire, de Maya Angelou. Prix conseillé TTC : 7,30€. 416 pages. Date de parution: 30 septembre 2009.
Et vous? Avez-vous lu ce roman?
Salut ! J’ai beaucoup aimé ce récit, justement pour son intransigeance, pour la critique légitime qu’elle apporte sur les Blanc·hes et qui me nourrit, en tant que personne blanche. En revanche, à chaque page, je n’avais qu’une envie, c’est qu’elle quitte Make qui n’est pas du tout féministe !!
Hello! Merci beaucoup pour ton retour. En effet, j’avais aussi hâte qu’elle laisse cette relation toxique derrière elle…